La tombe

Quand j'avais dix ans
Je vis dix hommes monter dix ânes
Ils avaient dix nuits pour dix vies
Ou alors dix jours pour dix exiles
De mes cinq doigts sont sortis ces cinq vers


Ce nombre d'hommes je l'ai compté à l'ombre de mon ombre
Des yeux du premier à ceux du dernier ruisselait du sang
Vêtus de haillons, ils étaient aussi fourbus que leurs montures
Harassés de souffrances, rongés par la famine, ils cherchaient
L'espoir d'un lendemain meilleur sur mon visage d'enfant
J'avais au fond de moi cette énergie qui leur manquait.
Mais j'ignorais comment la leur distribuer, mes frères.
Ces images fortes s'incrustèrent dans ma mémoire vierge.


Aujourd'hui j'ai grandi
Des dandys nantis me regardent avec mépris
Car j'enfume la paix dans la maison du riche
J'étouffe l'insouciance de ces je m'en fiche
Conséquences, leurs beaux jours toussotent
Sous cette mélodie triste que ma plume sifflote
Je tance l'opulence qui se moque de ma misère
Je gifle les frimeurs qui crachent sur mes hères
Tous ces sous-dieux qui piétinent, insultent ou ignorent
Tous mes sous-hommes, mes sous-âmes, mes sous-vies
Ce texte témoigne la force de mon ressentiment
La senteur de mon aversion s'y élève aisément.


Ah, comme je prie Dieu pour vivre vieux !
Assez vieux pour aller au cimetière fleurir cette tombe
Où l'on pourrait lire sur une funeste pierre tombale :
« ci-gît l'orgueil des maîtres du monde ». 

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